Mireille, thanatopractrice célèbre, revient après plus de dix ans dans sa ville natale pour embaumer le corps de sa mère, morte il y a quelques jours d’une longue maladie. Elle retrouve ses frères, Julien, Denis et Elliot, ainsi que sa belle-sœur Chantal. Très vite, les rancœurs vont se réveiller, les souvenirs du passé remonter à la surface…
Le spectateur est rapidement transporté dans l’action par l’utilisation des projections et des effets de lumière. La neige tombe sur le théâtre, le décor de la chambre funéraire semble plus vrai que nature, le rideau est utilisé comme un écran pour servir le propos. Ainsi, le spectateur prend facilement part à l’histoire et se voit intégré à ce huis clos des plus perturbants. Dire adieu à une mère n’est jamais aisé, mais la situation va rendre cet adieu encore plus compliqué. On peut également saluer les costumes particulièrement beaux, qui mettent en valeur les acteurs. Les jeux de lumières permettent d’intensifier l’attention du spectateur par un effet presque cinématographique, de pose d’attention sur un personnage aux moments clés de l’histoire. L’esthétique de cette pièce apporte réellement à l’action et au récit. C’est une très belle réussite.
L’histoire joue sur quelques retours en arrière qui finiront par dévoiler le secret qui aura gâché la vie de toute une famille avec une chute inattendue. Au début, les rires fusent lors des retrouvailles entre ces frères et sœurs, un peu gênés par la situation (se voir confier la fonction de préparer le corps de leur défunte mère). On apprend à découvrir les divers personnages et leurs travers : Eliott, ancien junkie qui vivait aux crochets de sa mère, Julien, ancien alcoolique devenu fervent pratiquant de natation, Chantal, la femme de Julien dont la vie tourne autour de son mari et de son fils, Denis, qui a monté son entreprise de forage, Stéfani, elle aussi thanatopractrice qui assiste à ce drame sans pouvoir réellement intervenir, et enfin Mireille, mystérieuse et déterminée, à qui la vie semble sourire depuis qu’elle a quitté sa petite ville du Québec. Chacun est incarné avec force et vérité par des acteurs au sommet de leur art. On ressent clairement l’ambiance gênante de certaines familles lors des enterrements, où chaque personne y va de ses reproches, de ses frustrations, de ses déceptions. On entre réellement dans l’intime de ces personnages comme pour permettre au passé de revivre une dernière fois afin de tirer un trait dessus et de recommencer sur de nouvelles bases.
Cependant, à travers cette histoire, on découvre comment on peut s’empêtrer dans un mensonge, afin de paraître plus respectable, quitte à ne pas s’accepter tel que l’on est. Dans un monde plein de préjugés, qu’est-on capable de faire subir aux autres pour mieux se « protéger » soi-même ? Jusqu’où peut aller l’amour fraternel ? Les secrets ne finissent-ils pas par perdre l’ensemble d’une famille au lieu de la renforcer ? Tant de questions que pose la pièce et qui glacent un peu le sang des spectateurs qui assistent à cette rencontre. On est bouleversé par Mireille, par Julien et le secret qui les lie à tout jamais. On en ressort avec une impression de coup de poing tant le récit nous transporte. On retrouve alors une des plus importantes fonctions de l’art (évoquée dans la pièce) : faire réfléchir.
« La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé» est une pièce surprenante, poignante, captivante. Le spectateur en ressort happé. Entre comédie et tragédie, avec un soupçon d’horreur, cette pièce attire autant qu’elle questionne. A voir absolument.